- OCÉANIE - Ethnographie
- OCÉANIE - EthnographieDu point de vue de l’étude ethnographique, il est d’usage de répartir les îles et archipels de l’Océanie, l’Australie mise à part, en trois ensembles que l’on intitule: Mélanésie à l’ouest, Micronésie au nord-ouest et Polynésie à l’est.Le terme de Mélanésie est utilisé pour désigner un ensemble humain qui occupe la région ouest du Pacifique et qui semble être de race noire. Les Mélanésiens peuplent les îles de Nouvelle-Guinée, de Nouvelle-Bretagne, de Nouvelle-Irlande, les îles Salomon, le Vanuatu, la Nouvelle-Calédonie et les îles Fidji. Bien que l’ensemble de ces populations ne dépasse pas cinq millions d’habitants en 1990, les peuples mélanésiens ont su développer une civilisation originale qui est restée longtemps, sinon à l’abri des contacts avec les Européens, du moins dans une relation distendue par les difficultés de communication d’île en île. Seules les îles Fidji ont connu un important apport d’émigrés indiens et la Nouvelle-Calédonie un peuplement français. On pense que l’origine des peuples mélanésiens se trouve quelque part dans le Sud-Est asiatique, mais que ces gens, venus d’ailleurs, trouvèrent déjà sur place des populations noires d’implantation beaucoup plus ancienne avec lesquelles ils se fondirent progressivement.La Mélanésie, qui connaît un climat équatorial (sauf la Nouvelle-Calédonie plus tempérée), est une mosaïque de peuples aux dimensions démographiques et aux extensions géographiques très faibles. L’homogénéité de la culture mélanésienne tient à ses techniques d’appropriation de la nature en vue de la production agricole, de l’élevage du porc et de la pêche, jointes à des systèmes sociaux et politiques qui, malgré leur apparente diversité, ont en commun un certain nombre de traits fondamentaux. En effet, les liens généalogiques et les règles de mariage ne suffisent pas à donner une définition claire des groupes humains. Pour y parvenir, il faut prendre en considération à la fois les données très fluctuantes de la résidence et celles de la compétition politique. Celle-ci revêt une forme très particulière en Mélanésie, puisque le pouvoir n’est pas fondé sur des institutions, mais qu’il est issu du consensus général accordé de façon provisoire à tel ou tel individu.Poussière d’îles (2 500 environ) disséminées sur plusieurs millions de kilomètres carrés d’océan, et dont aucune n’est de dimension importante, la Micronésie se divise traditionnellement en quatre archipels – Mariannes, Carolines, Marshall et Gilbert – et une île isolée, Nauru. Longtemps présentée comme une aire culturelle homogène, par contraste avec la Mélanésie au sud, la région est en fait assez fortement différenciée suivant que l’on emploie les critères de la linguistique, de l’archéologie, de la civilisation matérielle et technologique ou de la sociologie. On s’aperçoit alors que certaines sous-cultures ont plus d’éléments en commun avec la Mélanésie ou même l’Indonésie qu’avec les sous-cultures voisines. Par ailleurs, une théorie bien connue des migrations océaniennes – celle de P. Buck – faisait de l’archipel micronésien le lieu de passage des peuples polynésiens en provenance de l’Asie; les recherches modernes ont montré que les choses n’étaient pas si simples.La Polynésie est un ensemble d’îles de l’océan Pacifique, situées dans un triangle dont les trois sommets sont Hawaii au nord, la Nouvelle-Zélande au sud-ouest et l’île de Pâques, à l’est. Si l’on met à part la Nouvelle-Zélande, les îles de la Polynésie représentent une superficie de l’ordre de 26 500 km2. On distingue: la Polynésie occidentale, c’est-à-dire les îles Samoa, Tonga, Wallis, Ellice et Phœnix; la Polynésie orientale, avec les îles Cook, les îles de la Société, les îles Marquises, les îles Touamotou (Tuamotu), les îles Australes (ou Tubuaï) et enfin l’île de Pâques. Les îles Fidji sont une partie de la Mélanésie, mais les traits linguistiques et ceux du système politique fidjien apparentent ces îles plutôt à l’ensemble culturel polynésien. Le peuplement polynésien s’est étendu d’ouest en est, depuis Samoa jusqu’aux îles Marquises. De là, les Polynésiens sont partis à la conquête d’Hawaii et, plus tardivement, de la Nouvelle-Zélande.C’est au navigateur espagnol Alvaro Mendaña que l’on doit en 1595 la découverte des îles méridionales des Marquises, mais ce n’est qu’en 1774 que le capitaine Cook débarqua sur ces îles, ainsi qu’à Tahiti. À partir de cette date, l’arrivée des Européens faillit décimer complètement la population polynésienne, en y introduisant des maladies nouvelles contre lesquelles elle n’était pas armée. À Hawaii, aux îles Fidji, ainsi qu’à Tahiti et à Tonga, les Européens arrivèrent à un moment de l’histoire polynésienne où l’on assistait déjà à des tentatives d’unification de ces archipels sous la direction de chefs entreprenants. L’apport des armes à feu et l’aide de quelques matelots déserteurs contribuèrent au succès de ces entreprises.En dehors du système politique polynésien, il faut remarquer l’originalité des techniques d’utilisation du sol, ainsi que le grand développement des techniques de navigation. Ces dernières ont permis, à l’aide de pirogues à balanciers, de coloniser des îles très éloignées et jusqu’alors inhabitées.1. MélanésiePeuplementOn distingue en Mélanésie trois types physiques différents: les Pygmées, qui habitent les montagnes centrales de Nouvelle-Guinée; les Papous, qui peuplent la plus grande partie de cette île; les Mélanésiens proprement dits, qui occupent les zones côtières de Nouvelle-Guinée et les archipels.L’origine des Pygmées est incertaine et, bien que leur taille soit très petite, on a pu supposer qu’ils étaient des Papous habitant les hautes vallées. On s’accorde à penser cependant que les Papous occupèrent la Nouvelle-Guinée entre 10 000 et 3 000 ans avant J.-C. C’est alors qu’apparurent les Austronésiens, qui sont les ancêtres des Mélanésiens actuels. Ils apportaient avec eux la révolution néolithique et venaient du Sud-Est asiatique. Ils introduisirent l’agriculture, l’élevage et la fabrication des outils de pierre polie. Ces nouvelles techniques se sont diffusées peu à peu vers l’est: les traces archéologiques qu’on en a trouvées remontent pour les îles Fidji au début de notre ère, mais n’apparaissent en Nouvelle-Calédonie qu’en l’an 850. Il faut ajouter que les Polynésiens sont une branche détachée des Mélanésiens et qu’ils colonisèrent toute la moitié est du Pacifique. Cependant, les découvertes linguistiques récentes obligent à distinguer, parmi les langues austronésiennes, un groupe distinct formé par les langues de Rotuma, des Fidji et de Polynésie. Ainsi, linguistiquement, le fidjien apparaît compris dans l’ensemble polynésien, autrement dit austronésien oriental, dont l’origine, plus tardive que l’austronésien occidental, se situe quelque part dans les îles situées au nord de la Nouvelle-Guinée. Ces faits tendent à prouver que toutes les langues austronésiennes orientales furent un moment parlées en Mélanésie. Les langues non austronésiennes ont une définition purement négative et les linguistes ne sont pas encore arrivés à reconnaître une quelconque homogénéité à leurs traits différentiels. Cependant, les langues non austronésiennes ont été parlées avant l’introduction de l’austronésien. C’est donc sur un fond de peuplement très ancien qu’est venue s’implanter la grande famille de langues austronésiennes. Linguistiquement, la Mélanésie ne présente pas d’homogénéité, puisque subsistent certaines langues non austronésiennes et que, d’autre part, un territoire aussi important que les îles Fidji fait partie de la branche polynésienne des langues austronésiennes.La vie quotidienne traditionnelleEn Mélanésie, la vie de chaque jour est dominée par les formes que prend la culture des jardins qui fournissent la base de l’alimentation. En effet, si l’on rencontre encore en Nouvelle-Guinée et en Nouvelle-Bretagne quelques communautés de chasseurs et cueilleurs, le Mélanésien est un homme qui fait vivre sa famille du produit de ses jardins. Cette horticulture est le plus souvent itinérante, c’est-à-dire qu’après avoir été cultivés les jardins sont laissés en jachère et très vite rendus à la forêt pour une période de dix à quinze années. Ce temps est nécessaire à la reconstitution du sol. Aussi les jardins se déplacent-ils sur les grands espaces de la forêt tropicale. Ouvrir un nouveau jardin en pleine forêt oblige les hommes à abattre la plupart des arbres et, pour les plus gros, à les faire mourir en leur brûlant le pied: la lumière peut ainsi atteindre les plantes du jardin. Le sol est fertilisé en incendiant sur place tout le couvert végétal, arraché ou abattu. Ce qui ne peut être brûlé est aligné de manière à découper la surface du jardin en sections de grandeur uniforme. Un système de drainage permet à l’eau de pluie de s’écouler sans endommager les cultures. Les plantes cultivées sont l’igname, qui existe de préférence sur les terres basses en bordure de la mer, et le taro, qui pousse à l’intérieur sur les collines et dont la culture irriguée a parfois donné naissance à des techniques très élaborées, notamment en Nouvelle-Calédonie, grâce à des jardins étagés en terrasses; la patate douce, si elle pousse partout, a fait la fortune des hautes terres où ne poussaient avant son introduction que les pandanus. Des arbres plantés dans d’anciens jardins apportent un complément précieux de nourriture, tels les cocotiers près de la mer, les sagoutiers et les bananiers sur les terres humides. Enfin, le taro des marais (Cyrtosperma chamissonis ) offre pour les terrains inondés du bord de mer l’appoint de ses énormes tubercules.Pour ces cultures, le seul outillage consiste en haches, autrefois de pierre et maintenant de fer, en bâtons à fouir et en longs couteaux d’acier pour couper la végétation envahissante. En général le régime des pluies, de type équatorial, permet une répartition des plantations tout au long de l’année, sauf pour l’igname qui mûrit une fois l’an au début de la saison des alizés du sud-est. D’autre part, seul l’igname peut se conserver intact plusieurs mois, les autres produits vivriers étant extrêmement périssables et devant être consommés rapidement.Avec l’horticulture itinérante, l’élevage du porc est une donnée essentielle de la vie mélanésienne. En effet, le porc est le seul mammifère domestique et la base de toute nourriture carnée, principalement utilisée lors des fêtes et des rituels: le porc est le correspondant animal de l’homme et son élevage s’entoure de rituels très riches de significations symboliques. L’espace humain taillé dans la forêt exige que les porcs soient élevés dans des enclos ou que les jardins soient entourés de palissades protectrices.La pêche, enfin, est une activité régulière des populations côtières comme de celles qui vivent près des rivières. La fabrication des pirogues de pêche et les rituels qui permettent le contrôle des éléments (vents, tempêtes, pluies) forment un ensemble d’activités qui relient la pêche et la vie des communautés côtières au monde marin et céleste. Les techniques de pêche sont très diversifiées, depuis la pêche sur le rivage jusqu’aux expéditions à la recherche des bancs de bonites. Le poisson est harponné, ou bien pris à l’hameçon, ou encore capturé dans un filet. Les hommes et les poissons sont les héros de mythes dans lesquels les ancêtres, les requins et les crocodiles disposent de la destinée des vivants.Au milieu de cette nature difficilement domestiquée, l’espace du village est, comme le jardin, un endroit découvert où se déroule la vie familiale et sociale. Les maisons sont construites avec soin, couvertes de feuilles de sagoutier, de pandanus ou de cocotier. Les piliers des maisons servent plusieurs fois, car la mobilité des villages est grande. Certaines constructions, telles les maisons des hommes réservées aux rites, les maisons des pirogues, les maisons funéraires, sont l’objet de soins et de tabous particuliers. L’architecture des maisons des hommes fait particulièrement contraste avec le fouillis environnant, et cela dans toute la Mélanésie.Les systèmes sociauxLes sociétés mélanésiennes sont en général, et surtout dans les archipels, de très faible dimension, allant d’une centaine à quelques milliers de personnes. Sur les hautes terres de Nouvelle-Guinée, où l’agriculture est plus intensive grâce à la culture de la patate douce, les groupes humains ont un chiffre de population qui peut aller jusqu’à plusieurs dizaines de milliers.L’organisation sociale des sociétés mélanésiennes pose aux anthropologues qui cherchent à les décrire des difficultés particulières, car elle ne se laisse pas définir par des critères relevant des études de parenté, où les groupes de filiation généalogiques et les échanges matrimoniaux formeraient le squelette des groupes humains. Il semble au contraire qu’à partir de systèmes terminologiques différents et de règles de mariage très souples les sociétés mélanésiennes attachent une grande importance à l’implantation locale des groupes, à la trame des droits fonciers qui lient les hommes aux terroirs, ainsi qu’aux règles qui président aux échanges cérémoniels entre individus. De plus, la mobilité des groupes humains, le fait que les frontières ne sont pas nettement définies s’ajoutent à l’effacement des liens généalogiques et donnent une grande liberté de choix de résider dans tel ou tel village. Ainsi les unités locales ont-elles souvent, malgré une idéologie de recrutement unilinéaire (patri- ou matrilinéaire), une composition indifférenciée. On observe aussi en Mélanésie des phénomènes d’appartenance multiple pour un même individu, comme chez les Huli de Nouvelle-Guinée et les habitants de Choiseul et de Malaita centrale aux îles Salomon. Ainsi, que la filiation soit reconnue patrilinéaire, comme c’est le cas en Nouvelle-Guinée, aux Fidji et en Nouvelle-Calédonie, ou qu’elle soit reconnue matrilinéaire, comme en Nouvelle-Bretagne, aux Salomon et dans toute la pointe orientale de Nouvelle-Guinée, ou qu’enfin elle soit indifférenciée, comme à Choiseul et à Malaita, à Aoba occidentale au Vanuatu, la théorie des sociétés mélanésiennes reste à faire, puisque ni la théorie des groupes de filiation ni celle de l’alliance ne donnent une explication satisfaisante.Au Vanuatu, on a cru reconnaître des systèmes de parenté semblables aux systèmes australiens, c’est-à-dire fondés sur des classes matrimoniales. À Ambrym, en effet, on distingue trois lignes paternelles divisées chacune en deux générations alternées et deux moitiés matrilinéaires. Ce système engendre six classes matrimoniales qui cependant ne sont pas nommées. Les études récentes de Scheffler montrent que ce système ainsi que ceux d’Epi et de Poama semblent être des variantes de systèmes Crow, bien qu’il n’y ait pas de télescopage des générations et que la filiation soit patrilinéaire.Ces analyses tendent à montrer que les faits mélanésiens ne pourront être éclairés qu’en intégrant les données de la parenté à ceux que révèle l’étude des échanges cérémoniels et des comportements d’ordre politique et idéologique.Il convient notamment d’étudier attentivement les formes d’organisation spatiale en rapport avec les divisions sociales et politiques. Ainsi de nombreuses sociétés de Mélanésie, surtout en Nouvelle-Guinée, connaissent-elles des formes de partition dualiste, que la société tout entière soit divisée en deux moitiés ou que la division n’ait qu’un rôle rituel. Ces oppositions sont liées à un dualisme cosmologique qui s’organise en catégories de paires opposées (masculin-féminin, chaud-froid, est-ouest).D’autres principes d’organisation spatiale font appel à un ordre hiérarchique, tel que celui des sites funéraires, comme chez les Kwaio et les ’Are’are de Malaita (Salomon), où les relations généalogiques et l’implantation sur le sol des groupes humains sont constamment remodelées.Le pouvoir politique et les échanges cérémonielsL’organisation du pouvoir politique dans les sociétés mélanésiennes est un trait culturel tout à fait original qui connaît une extension quasi générale, à la seule exception des îles Fidji. En effet, le pouvoir n’est pas défini formellement, il n’est pas exprimé par des institutions particulières; le pouvoir mélanésien s’exprime tout entier par le jeu des individus qui, à partir des relations sociales de parenté, d’échanges cérémoniels et matrimoniaux, parviennent peu à peu et toujours provisoirement à être reconnus comme détenteurs de pouvoir. Le consensus est donné – ou au contraire refusé – à quelqu’un qui, par ce fait même, sera ou ne sera pas considéré comme sortant du commun pour tenir un rôle d’arbitre et d’entrepreneur dans le cadre de la vie sociale traditionnelle.Le chemin qui mène vers la reconnaissance de l’autorité peu à peu attribuée à quelque individu entreprenant passe par un certain nombre de contraintes. La première est que les groupes sociaux soient constitués localement en unités de force comparable et dotés d’une certaine autonomie, sans qu’aucun d’entre eux n’ait la possibilité démographique et économique de conquérir l’hégémonie sur ses voisins. La deuxième fait obligation à celui qui désire être reconnu comme détenteur de pouvoir d’accroître considérablement la production de son groupe familial (tubercules et porcs) au-delà des besoins de subsistance. La troisième contrainte découle de la précédente et fait obligation d’étendre progressivement et de façon systématique les échanges avec le plus grand nombre de partenaires possible; ces échanges ont la particularité de ne jamais être équilibrés, car, dans ce cas, ils pourraient être interrompus; il faut toujours que la dette soit pendante, mais sans être trop forte pour décourager un partenaire trop manifestement surclassé.Aussi le futur big man , comme on dit dans la langue «pidgin-english», s’efforce-t-il d’abord de faire travailler son groupe familial à produire plus, puis il étendra au fur et à mesure le réseau de ses relations d’échange très loin au-delà de sa proche parenté ou de ses alliances matrimoniales, franchissant ainsi les limites des groupes définis généalogiquement. Son capital, formé des dettes de ses nombreux partenaires, oblige également ceux-ci à produire davantage, augmentant à la fois la quantité de biens échangés et la vitesse de circulation. Le cycle traditionnel des fêtes cérémonielles apporte de nombreuses occasions de dépenser les surplus de nourriture et de sacrifier en grand nombre les porcs. Ces fêtes s’accompagnent de la présentation et de l’échange de biens précieux et de monnaies. L’existence de la monnaie traditionnelle en Mélanésie est une donnée essentielle pour expliquer l’intensité des échanges, aussi bien que leur extension de société à société. Aussi a-t-on pu observer des relations commerciales qui, d’île en île ou de tribu à tribu, forment des systèmes d’interrelations politiques et économiques, tel le kula étudié par Malinowski.La relation aux ancêtresLa relation aux ancêtres est fondamentale en Mélanésie pour comprendre les relations des hommes avec leurs terroirs et expliquer le pouvoir des hommes sur le monde naturel et surnaturel. En Mélanésie, le monde des vivants est en constante relation avec un monde des morts qui exerce son pouvoir à chaque moment de l’existence. Dans la croyance des hommes, rien ne s’explique sans participation active des morts. Ceux-ci président aux relations entre ethnies et déterminent la conceptualisation des rapports que les Mélanésiens ont eus avec les Européens. Les nombreux mouvements messianiques qui ont surgi en Mélanésie représentent tous une tentative de redéfinir la relation avec le pouvoir européen, à travers une formulation d’un rapport avec les morts qui est en rupture avec la tradition.La représentation des ancêtres est le thème principal de la mythologie mélanésienne et des créations artistiques qui font la renommée de cette civilisation. Partout, la sculpture sur bois, la peinture et la décoration des masques, la taille des parures de coquillage ont connu un grand développement et une grande richesse dans la diversité des styles.2. MicronésieHistoire du peuplementLes documents écrits faisant défaut, l’histoire culturelle de la Micronésie doit être déduite des observations combinées des anthropologues, des archéologues et des linguistes, qui montrent d’ailleurs une assez grande cohérence. Les techniques de l’archéologie sont souvent les plus efficaces; malheureusement, faute de fouilles systématiques suffisantes, on ne peut encore établir une chronologie sûre, particulièrement pour les archipels atolliens. On sait toutefois que, pour le peuplement de l’archipel des Mariannes, la date de 1500 avant J.-C. a été déterminée à Saipan grâce au carbone 14. Il semble donc plausible que les Carolines aient été aussi occupées vers cette époque. Il faut de plus se souvenir que, dans tout le Pacifique, les fouilles stratigraphiques modernes font nettement reculer les dates des premières occupations.La linguistique offre un autre outil. Même avec des langues sans écriture, il est possible d’établir des origines historiques communes. Dans l’état actuel des connaissances, ce que l’on peut dire est que toutes les langues de Micronésie appartiennent à un même phylum du groupe austronésien (ou malayo-polynésien). Ce phylum se divise en familles; les langues des Carolines forment la famille la plus diversifiée. Le linguiste américain I. Dyen y distingue le groupe de Palau, le groupe de Yap, le groupe de Truk, le groupe de Ponape (dialectes de Ponape, Ngatik, Mokil) et Kusaie, qui forme un groupe à part, peut-être apparenté aux langues nettement polynésiennes des deux atolls de Kapingamarangi et de Nukuoro. Entre ces groupes, la compréhension n’est pas possible; par contre, les archipels des Marshall, d’un côté, et des Gilbert, de l’autre, présentent une unité linguistique presque complète.Les anciennes méthodes des anthropologues physiques, fondées sur les mesures corporelles, sont de plus en plus abandonnées aujourd’hui, à cause de l’influence de l’environnement, et on accorde une importance croissante aux théories fondées sur l’étude des types sanguins strictement héréditaires. Une certaine similarité implique une origine commune: on s’est aperçu que le type physique des habitants de l’atoll de Kapingamarangi est semblable à celui des autres Polynésiens, ce qui corrobore la preuve linguistique. Toutefois, l’ensemble des peuples micronésiens n’est pas non plus homogène de ce point de vue, et on a tendance à rendre compte des variations en postulant des origines multiples. Philippines, Indonésie orientale, Mélanésie du Sud et même Japon ont sans doute contribué à la constitution de la population micronésienne, qui a la taille moins haute, la peau plus foncée et la chevelure moins ondulée que la population polynésienne.Nous pouvons maintenant classer approximativement les sous-cultures de Micronésie:– les deux atolls Kapingamarangi et Nukuoro, qui forment deux «enclaves» (outliers ) de langue et de culture polynésiennes apparentées aux autres enclaves culturelles identiques que l’on trouve plus au sud en Mélanésie (Taku, Sikaiana, Tikopia, etc.);– les Mariannes, qui formaient sans doute une aire à part (la culture du riz y était connue);– les Carolines occidentales, qui comprennent d’une part les Palau et les îles du Sud-Ouest, d’autre part Yap et son «empire»;– les Carolines orientales: aire de Truk (Puluwat, Namonuito, Truk proprement dit) et aire de Ponape (Ngatik, Ponape propre, Mokil, Pingelap);– Kusaie, formant une sorte de transition avec les îles Marshall;– enfin les Gilbert, que l’on peut subdiviser, sur des bases plus sociologiques, en Gilbert du Nord (avec Banaba) et Gilbert du Sud.Deux points de vue s’opposent sur l’origine de ces migrations. Selon A. Sharp, qui raisonne surtout à partir de faits polynésiens, le peuplement se serait le plus souvent produit de façon accidentelle: fuites pour faits de guerre, pirogues en dérive, etc. Des archéologues, s’appuyant sur l’état des fouilles et mésestimant moins les connaissances nautiques et astronomiques des Océaniens, soutiennent au contraire que l’essentiel était organisé de façon consciente et systématique. Beaucoup de recherches sont encore nécessaires avant de pouvoir résoudre ces problèmes.La vie quotidienne traditionnelleLa pauvreté du milieu insulaire, surtout dans les îles «basses» ou atolliennes, a certainement limité le développement des aspects technologique et économique des Micronésiens. L’habitat est relativement dispersé, mais on trouve une assez grande unité grâce à une organisation sociale en districts, sans que l’on puisse parler de «villages» proprement dits. Cette unité se concrétise dans l’existence de «maisons collectives» à organisation complexe, sans distinction sexuelle (Gilbert) ou réservées parfois aux hommes (Carolines). La forme de ces maisons est hexagonale (Yap) ou rectangulaire. Les maisonnées communiquent entre elles par mer ou par des sentiers, souvent pavés. La maisonnée est une unité domestique centrée autour d’un four de terre (la poterie n’était connue que dans les îles de l’extrême Ouest).Les habitants des atolls les plus secs (Gilbert du Sud) subsistent grâce à la noix de coco, au fruit de pandanus, au taro (Cyrtosperma chamissonis ), auxquels s’ajoutent sur les îles plus humides l’arbre à pain et le bananier; sur les îles «hautes», volcaniques, on trouve de plus la canne à sucre, des ignames, etc. Le kava (boisson stupéfiante extraite de la racine du Piper methysticum ) n’est connu qu’à Ponape et Kusaie. La noix de bétel est employée par les Micronésiens de l’Ouest. Les porcs jouent un rôle beaucoup moins grand qu’en Mélanésie. Aujourd’hui, le riz, la farine et le sucre importés tiennent une grande place dans le régime alimentaire. La pêche, facilitée par une connaissance approfondie du milieu marin et par une remarquable technique nautique, joue partout un rôle fondamental.L’habillement traditionnel est de grande qualité, surtout pour les fêtes; il faut citer particulièrement les nattes faites de feuilles de pandanus, que les femmes de Yap et surtout celles des Marshall s’enroulent autour du corps. Aux Gilbert, ces nattes, d’une admirable souplesse, sont réservées aux hommes pour la danse.Les systèmes sociaux, politiques et religieuxSur un milieu physique le plus souvent ingrat et aride, les Micronésiens ont développé des systèmes d’organisation sociale et politique très élaborés, avec, semble-t-il, une tendance à une plus grande complexité sur les îles «hautes» que sur les îles «basses», sans que l’on puisse établir une corrélation nette. Un des faits les plus remarquables, bien étudiés par les ethnologues, est l’existence de clans et de lignages matrilinéaires dans une grande partie de l’aire (les seconds d’ailleurs plus importants que les premiers); seuls l’archipel des Gilbert à l’est, les «enclaves» (Kapingamarangi et Nukuoro) et les îles du Sud-Ouest (Sonsorol, Tobi) font exception et présentent une organisation bilatérale plus polynésienne que micronésienne. Les terminologies de parenté sont du type «Iroquois» (Marshall et Nauru), du type «Crow» (Yap, Ulithi, Truk, Ponape), du type «hawaiien» ailleurs. L’ethnologue américain G. P. Murdock interprète l’origine de ces traits comme une adaptation à partir d’une organisation bilatérale plus ancienne et commune à l’ensemble des peuples austronésiens. D’autres anthropologues y voient au contraire l’appauvrissement progressif d’une organisation matrilinéaire plus stricte.En ce qui concerne l’organisation politique proprement dite, presque toute la région présente des formes complexes de stratification. L’autorité dérive du rang, qui lui-même se fonde sur les droits de descendance plus ou moins linéaire, sur l’âge et sur l’ordre de naissance. La vie politique est souvent un effort constant d’individus ou de groupes sociaux pour s’élever peu à peu, grâce aux systèmes d’échange et d’accumulation, dans la hiérarchie sociale. La propriété foncière est fréquemment un indice de rang social, mais des systèmes de titres gradués et de «classes» lui sont liés. Habituellement, les chefferies ne dépassaient pas le cadre d’une île ou d’une section d’île, mais, parfois, au moyen d’alliances étendues et de guerres entre villages et districts, elles réussissaient à surmonter leur fragilité et à étendre leur autorité sur un groupe d’îles.La Micronésie présente ainsi toute une série de variantes dans le domaine de l’organisation politique, variantes que l’on trouve souvent à l’intérieur d’un même archipel, d’un même ensemble linguistique et dans un environnement écologique identique. On trouve ainsi la forme la plus simple d’organisation dans les îles Gilbert du Sud, organisées sur le modèle de communautés villageoises indépendantes et sans aucune autorité centralisée; la responsabilité est exercée et les conflits réglés par les anciens à l’unanimité. Immédiatement au nord, en revanche, se sont constituées peu à peu des chefferies fortement stratifiées, qui monopolisaient une grande partie du pouvoir économique et qui ont modifié fortement l’organisation sociale commune à l’ensemble de l’archipel. La plupart des atolls des Carolines et Truk manifestent la même tendance à une concentration progressive du pouvoir. L’archipel des Marshall avait atteint un niveau plus élevé, puisque deux chefs éminents se partageaient les chaînes de l’Ouest et de l’Est.Toutefois, c’est dans les îles volcaniques de Ponape, Yap et sans doute aux Mariannes que l’on trouve les organisations les plus complexes. Ponape, par exemple, est divisée en cinq districts qui furent peut-être unifiés autrefois. Dans chaque district, deux lignes d’hommes titrés siègent au conseil, et l’on trouve le même modèle dans les sections internes au district. Ces titres sont ordonnés et sont la propriété de certains matriclans; le titre principal est tenu par un chef de district. Le titre principal de l’autre ligne est l’orateur, ou porte-parole, du chef de district. Ce sont les hommes titrés de la même ligne qui ont le droit de succession; les candidats à un titre doivent par ailleurs faire montre de prestige et d’habileté.À Yap, le système était encore plus développé puisqu’il couvrait plusieurs îles parfois fort éloignées l’une de l’autre. Certaines d’entre elles jouaient un rôle de relais dans l’acheminement des dons, du tribut aux chefs et des prestations aux esprits.Ces hiérarchies se manifestent de façon concrète et symbolique dans des rituels à l’organisation formelle très stricte: par exemple, la boisson du kava à Ponape (qui rappelle les faits de même type à Samoa), ou encore la distribution de la nourriture lors de fêtes dans les maisons collectives des Gilbert du Sud.3. PolynésieLe peuplement humainLes îles polynésiennes furent peuplées de gens venus des côtes d’Asie et qui comportaient les éléments caucasoïdes, négroïdes et mongoloïdes. Il est difficile de distinguer nettement les Polynésiens de certaines populations mélanésiennes des îles Fidji. Les dates de peuplement font remonter au début de l’ère chrétienne l’arrivée des hommes à Samoa, aux îles Fidji; les îles Marquises et les îles de la Société furent peuplées un peu plus tard, ainsi que Hawaii, entre 100 et 200 après J.-C. Enfin, les premières traces de peuplement polynésien en Nouvelle-Zélande sont beaucoup plus récentes puisqu’elles datent de 1150 après J.-C. On a discuté longtemps sur le point de savoir si l’émigration des Polynésiens était le résultat de déplacements accidentels ou bien si, au contraire, les îles furent peuplées par de véritables expéditions, minutieusement préparées. Il semble aujourd’hui certain, d’après les découvertes archéologiques, que la plupart des migrations furent volontaires et organisées. Il est clair maintenant que les Polynésiens sont une branche détachée des Mélanésiens. Aussi, les cultures de Tonga et de Samoa ne devaient-elles pas être très différentes, autour de l’an mille, des cultures mélanésiennes. On a retrouvé d’ailleurs, à Samoa et aux îles Marquises, des restes de poterie qui datent des premiers établissements et qui prouvent l’origine mélanésienne du peuplement. D’autre part, le centre de dispersion des Polynésiens dans tout l’est du Pacifique semble avoir été les îles Marquises. Les fouilles archéologiques dans ces îles ont montré qu’une importante expansion démographique s’est produite à partir de l’an 1000 après J.-C. Les Polynésiens colonisèrent les Touamotou et enfin la Nouvelle-Zélande.Linguistiquement, il est difficile également de distinguer nettement les langues polynésiennes des langues mélanésiennes. Elles font toutes partie de la famille des langues austronésiennes que l’on trouve établies en Indonésie, aux Philippines et dans toute l’Océanie. Étant donné les découvertes récentes, on peut affirmer que la séparation entre le polynésien et le mélanésien date d’environ 1500 avant J.-C., tandis que la séparation entre le polynésien occidental et le polynésien oriental date du début de l’ère chrétienne. C’est à cette époque que les langues des îles Marquises se sont séparées de celle de l’île de Pâques et que l’ancien tahitien a donné naissance aux langues hawaiienne et maori. On peut donc affirmer que les langues polynésiennes prirent racine sur les côtes de l’Asie méridionale et qu’elles représentent une subdivision de la famille mélanésienne; elles se sont diversifiées peu à peu au cours de leur histoire.Pour avoir su naviguer sur un si vaste océan et en avoir occupé peu à peu toutes les îles, les Polynésiens étaient de grands navigateurs. Ils voyageaient sur pirogues, qui étaient de trois types principaux: la pirogue à balancier creusée dans un tronc d’arbre, de petite dimension; la grande pirogue à balancier surmontée de hauts bords; le katamaran ou embarcation à deux coques réunies par une plate-forme sur laquelle était construite une case. Pour naviguer, les Polynésiens s’orientaient d’après les étoiles; ils savaient aussi utiliser les vents suivant la saison, profitant des alizés du sud-est ou au contraire des vents de nord-ouest. De plus, les courants marins étaient mis à contribution. Lorsque les Polynésiens partaient coloniser des terres nouvelles, ils entassaient dans leurs pirogues de nombreuses provisions, des ignames, des taros, des patates douces, des noix de coco, afin de pouvoir résister à un long voyage. Ils emportaient aussi des animaux domestiques, chiens, poulets et porcs. Ainsi les Polynésiens ont-ils transplanté dans tout le Pacifique et leur culture matérielle et leur savoir. Cette culture archaïque peut être reconstituée. La société était composée de petits clans vivant dans des hameaux, formés chacun de quelques cases. Les hommes se nourrissaient de tubercules et de fruits en même temps que du produit de la pêche, ainsi que des porcs et des poulets qu’ils élevaient. Ils utilisaient la poterie, les herminettes de pierre polie, les couteaux de coquillage.La vie quotidienneEn Polynésie, la vie quotidienne est dominée par le travail agricole qui permet, dans des conditions très particulières, d’obtenir des nourritures assurant, avec l’appoint fourni par la pêche, la subsistance des populations. On rencontre en Polynésie deux types très différents d’utilisation du sol, selon qu’il s’agit d’atolls coralliens, comme ceux des îles Touamotou, ou d’îles hautes, souvent volcaniques, telles que Samoa, les îles Cook du Sud, les îles Australes, les îles de la Société. De plus, les îles continentales sont souvent montagneuses, parfois entourées d’un récif corallien; c’est le cas de Tahiti, de Bora-Bora, de Rarotonga.Sur les atolls, l’étroite bande de terre de forme circulaire autour du lagon central est constituée par un plateau corallien où poussent les cocotiers, les pandanus; au milieu, dans des fosses artificielles, on cultive des aracées comme le Cyrtosperma chamissonis.Sur les îles hautes, en bordure de la mer, le sol se prête à la plantation de cocotiers et de pandanus; vers l’intérieur, sur les sols hydromorphes, on cultive le taro; enfin, les hauteurs sont couvertes de forêts, qui font place en altitude à des broussailles. Aujourd’hui, on assiste à l’extension des plantations de cocotiers, qui fournissent le coprah pour l’exportation, ainsi qu’à l’introduction de cultures commerciales, comme la tomate et l’ananas. Cependant, les techniques agricoles des Polynésiens ont réussi, malgré la pauvreté des sols des atolls, à obtenir de bons rendements. Pour ce faire, ils s’efforçaient de réduire au minimum l’évaporation en étendant sur le sol des feuilles sèches; ils utilisaient aussi systématiquement les engrais naturels et les fumures.Sur les îles continentales, les Polynésiens pratiquaient la rotation des cultures avec de longues périodes de jachère. Mais c’est de la pêche surtout que vivent les Polynésiens. Ils ont su développer des techniques aussi différentes que la pêche au harpon, la pêche au filet, depuis l’épuisette jusqu’au long filet de haute mer, enfin la pêche à la ligne et à l’hameçon pour se procurer la chair succulente des bonites. La pêche des coquillages avait aussi beaucoup d’importance, car la coquille servait à la fabrication des outils.Les Polynésiens, disposant d’un nombre relativement restreint d’espèces végétales, ont su construire l’outillage nécessaire à la construction des maisons, à la fabrication des pirogues, des voiles, des vêtements, des parures. La technique de fabrication du tapa , qui permet d’obtenir à partir d’écorces un tissu extrêmement souple, était complétée par la teinture de décors variés et polychromes. Les techniques du tatouage, enfin, permettaient de décorer le corps des hommes et des femmes de motifs traditionnels.La musique polynésienne traditionnelle est surtout faite de chants et de rythmes de percussion. Elle tient une place très importante dans tous les actes de la vie quotidienne, car la danse est un mode d’expression privilégié.Les systèmes sociaux polynésiensLes unités politiques et sociales polynésiennes sont beaucoup plus importantes que celles de Mélanésie, en nombre d’habitants comme en surface de territoire occupé. Ordinairement, ces unités comprennent de 2 000 à 3 000 personnes, cependant qu’à Tonga et à Hawaii elles atteignaient plusieurs dizaines de milliers d’habitants. De même, le district tahitien comprenait environ 8 000 personnes. Les chiffres importants obtenus pour Hawaii et Tonga correspondent d’ailleurs à une période historique où ces îles étaient en pleine transformation politique et connaissaient des tentatives d’unification (Kamakau à Hawaii en 1871, Mariner à Tonga en 1816).À la base des chefferies polynésiennes se trouvent des groupements de parenté eux-mêmes localisés et qui semblaient avoir une structure lignagère et segmentaire. Ces groupes de parenté étaient organisés selon un ordre hiérarchique couronné par le plus élevé d’entre eux, celui du chef.Cependant, dans les grandes chefferies, ces groupes localisés n’avaient pas à leur tête les chefs de lignage, mais plutôt des collatéraux du chef qui formaient la charpente administrative au service du pouvoir. Dans l’ensemble, il faut remarquer que les groupes locaux, sauf en Polynésie occidentale et chez les Maori de Nouvelle-Zélande, avaient un habitat dispersé et une organisation villageoise peu contraignante. Ils étaient recrutés sur une base ambilinéaire et reliés à un terroir particulier. C’est le terme kainga qui désigne le plus souvent ces groupes locaux. À Hawaii, on appelle ‘ ohana un groupe de parenté localisé occupant une portion de territoire qui allait du bord de la mer aux sources des rivières dans la montagne. Cependant, on pouvait appartenir à plusieurs ‘ ohana à la fois, et même y résider. En ce sens, l’‘ ohana de Hawaii rappelle le groupe de filiation maori appelé hapu , dont R. Firth a analysé les caractères ambilinéaires. Chez les Maori également, la résidence pouvait être extrêmement variable, ce qui, selon Firth, expliquait l’ambilinéarité du recrutement des hapu , tandis qu’à Tikopia la patrilinéarité va de pair avec le mariage patrilocal. Enfin, à Samoa et à Tonga, le mariage uxorilocal, selon lui, permettait aux agnats d’absorber les parents utérins.L’ambilinéarité généralement constatée en Polynésie oblige à reconsidérer, au niveau de la théorie ethnologique, l’ensemble des concepts tels que «groupe de filiation», «clans», «lignages». De même la théorie de l’alliance, qui fait de la parenté, étudiée à partir des réseaux d’alliance, l’objet privilégié d’explication, ne semble pas donner toutes les réponses qui permettraient de comprendre l’organisation sociale des Polynésiens. Il faut en effet, aux données généalogiques, à celles de la résidence et de l’occupation du sol, adjoindre les manipulations politiques et idéologiques qui font partie intégrante du système.La chefferie polynésienneLa chefferie, en Polynésie, contraste avec les formes de pouvoir rencontrées en Mélanésie, car elle est fondée sur une définition précise de l’institution politique, qui existe indépendamment des individus. La chefferie est en effet héréditaire et la hiérarchie des différentes sections de la société offre une structure pyramidale où les plus petites unités viennent s’emboîter dans des unités plus grandes. Cette organisation peut être un système lignager, où les segments de lignage et les lignages sont ordonnés suivant la distance généalogique qui les sépare d’un ancêtre commun; ce peut être aussi un système hiérarchique de titres en rapport avec une organisation locale des terroirs, eux-mêmes ordonnés hiérarchiquement. Dans des systèmes de ce genre, le chef est à la tête de la société. Il contrôle non seulement les gens du commun, mais aussi ceux de la classe «noble», car il est considéré comme «l’aîné» et ceux-ci sont ses «cadets». Le chef polynésien exerce un pouvoir étendu sur la production agricole, qui sert non seulement à la nourriture quotidienne, mais aussi à l’organisation des fêtes pendant lesquelles la consommation est immense. Ce devoir qu’a le chef de distribuer largement ces biens lors des fêtes de prestige l’oblige à exercer une pression très forte sur ses proches parents, sur ses dépendants et sur ses esclaves. C’est grâce à cela qu’il pouvait parfois mettre sur pied un appareil administratif et militaire permanent, comme ce fut le cas à Hawaii et à Tahiti.Le chef polynésien se trouve enfermé dans un système politique empli de contradictions. Tout d’abord, il doit se concilier le travail de ses proches, s’attacher des hommes sous sa dépendance; c’est dire qu’il est sans cesse tiraillé entre le besoin de donner aux siens et l’obligation de leur soutirer travail et produits. Contraint de batailler en de longues guerres, le pouvoir du chef était sans cesse menacé par la révolte possible d’un rival, qui, en général, était un «cadet». L’alternance d’usurpateurs successifs et la légitimation de leur pouvoir est un trait caractéristique qui montre la fragilité de l’institution politique polynésienne. Il semble que, pour parer à ces inconvénients, les chefferies de Hawaii et de Tahiti aient donné moins d’importance au principe lignager pour accorder tous leurs soins à une politique de mariage entre les familles des différentes chefferies. Cette politique menait bien évidemment à l’unification de ces îles sous un pouvoir unique. À Hawaii, le rang d’un chef dépend du rang respectif de ses parents; ainsi pouvait-on, par une habile politique de mariage, donner naissance à un rang supérieur au sien, puisque le rang des utérins était souvent prédominant.Aux îles Samoa orientales, les territoires étaient associés à des titres. Les assemblées villageoises, appelées fono , réunissaient les possesseurs de titres, qui étaient ordonnés hiérarchiquement sous la direction du détenteur du titre principal. La place qu’occupait chacun dans la maison où se tenait le fono et l’ordre dans lequel on buvait le kava reflétaient strictement la hiérarchie. Le kava était servi par une fille célibataire de la famille du chef; elle présidait également l’assemblée des jeunes filles, de même que l’héritier mâle présidait l’assemblée des jeunes hommes. Cette jeune fille était choisie parmi les utérins du chef et son rang était supérieur à celui de l’héritier. Ainsi était organisée chaque maison princière; la ligne utérine était reconnue aussi bien que la ligne agnatique. En principe, les agnats vivaient tous ensemble dans un même groupe local, tandis que les utérins étaient dispersés. Mais ceux-ci gardaient toujours le droit de s’opposer à l’aliénation des terres ou à l’attribution des titres hiérarchiques. Ainsi, le côté des hommes déterminait l’appartenance au groupe local, tandis que par les femmes s’obtenaient les titres et les appartenances hiérarchiques. Comme, de surcroît, la résidence n’était pas exclusivement patrilocale, les utérins se trouvaient résider avec les agnats et participer donc pleinement au jeu politique local. Les différences de rang, à la mort d’un chef, prêtaient toujours à des interprétations contradictoires et la succession n’était plus simplement agnatique, mais faisait référence à la combinaison d’un ensemble de facteurs très divers. L’unité du groupe ne se réfère pas à un ensemble généalogique, mais à la détention d’un titre parmi les autres de la hiérarchie. Pour accéder à certains titres, on peut à la fois faire valoir ses relations généalogiques et les titres de l’un quelconque de ses ascendants. Ainsi, la structure polynésienne réputée pyramidale tend à développer une catégorie sociale de chefs qui s’intermarient et calculent leur rang en fonction de leur ascendance paternelle et maternelle. Il ne s’agit donc plus, comme dans un système lignager, de descendre en ligne directe d’un ancêtre, mais au contraire de pouvoir, aussi bien par les hommes que par les femmes, remonter à certains ancêtres en s’en attribuant les titres et le rang. Cette observation est la caractéristique la plus frappante des systèmes politiques polynésiens.À cet égard, la chefferie fidjienne est plus polynésienne que mélanésienne. Elle est fondée sur l’égalité des agnats et des utérins et s’organise souvent, comme l’a montré Hocart, en un système alternatif qui, de génération en génération, donne le pouvoir à l’une des deux moitiés. Cette alternance se produit soit à la mort du chef, soit par les rituels du vasu .L’alternance au pouvoir des agnats et des utérins, pratiquée à Fidji, n’est pas organisée à Samoa, bien qu’elle apparaisse comme une donnée essentielle du système. De même à Hawaii, les agnats et les utérins ne se succèdent pas en alternance, mais selon la fortune des armes et le succès des factions politiques. Ainsi, s’expliquent à la fois l’unité d’ensemble des systèmes politiques polynésiens et les diversités particulières à chaque société. On ne peut manquer d’être frappé par l’extraordinaire contraste, au niveau politique, entre le système mélanésien du big man , où le pouvoir est affaire de réussite individuelle, sans cesse réaffirmée mais souvent détruite et inexistante, et le pouvoir polynésien, qui organise la compétition pour la légitimation de l’autorité.L’architecture polynésienneL’architecture s’est développée au cours des âges en prenant des formes très variées et l’on en connaît aujourd’hui les vestiges, surtout en Polynésie orientale. Cependant, pendant le premier millénaire, les habitants de Samoa ont commencé à ériger des maisons rectangulaires sur des plates-formes en dalles de pierre, les paepae. C’est à la même époque que furent édifiées des fortifications qui protégeaient les îles contre les attaques surprise. À Tonga, ce fut aux alentours du XIe siècle que les habitants construisirent leurs tombeaux sur de hautes buttes de terre; ils construisaient aussi des plates-formes de pierre pour leurs habitations. Les tombeaux, appelés langi , sont une masse rectangulaire à laquelle on accède par des gradins recouverts d’immenses dalles de pierre. Cette architecture mégalithique de Tonga fut progressivement abandonnée aux environs du XVIe siècle, pour céder la place à de simples monticules de terre. Pour élever ces monuments mégalithiques, les Tongans ont d’abord taillé ces pierres dans la roche, puis les ont mises en place à l’aide de plans inclinés. La main-d’œuvre nécessaire à ces transports était considérable.Les Marquisiens, de leur côté, aux environs de l’an 1200, construisirent des ensembles architecturaux comprenant une place rectangulaire bordée sur un ou deux de ses côtés par des terrasses en gradins, le tout bordé par des maisons érigées en bordure des terrasses latérales. C’est sur ces grandes places centrales, appelées tohua , que se déroulaient les cérémonies traditionnelles. Les Marquisiens exportèrent leur architecture jusqu’à l’île de Mangareva, où les temples témoignent de l’importance de la vie culturelle et du pouvoir de la chefferie. Plus tard, au cours de la période classique, entre 1400 et 1800, les îles Marquises connurent un immense développement de la culture mégalithique: les plates-formes surélevées (paepae ) sont faites d’énormes dalles de pierre pesant souvent plusieurs tonnes. On a pu découvrir, datant de cette époque, un tohua de près de 200 m de long, auquel était agrégée une série de constructions secondaires qui servaient de soutènement et sur lesquelles étaient construites les maisons. D’autre part, il existait également des temples, appelés me’ae , sur lesquels on trouvait des figures monumentales, comme dans l’île de Hiva Oa. Ces figures ressemblent au fameux tiki polynésien, au corps court et trapu, aux jambes repliées, aux mains jointes, «tournant vers le spectateur ses énormes yeux saillants aux paupières closes» (R. C. Suggs). Ces tiki aux formes monumentales donnèrent naissance à des lignées de tiki miniatures, sculptés sur bois, sur os et sur pierre, et qui se répandirent dans tout le Pacifique.À Tahiti, c’est aux environs de l’an mille que furent construites les plates-formes de pierre appelées marae. Ces temples étaient formés d’une cour intérieure, ceinte de murs, avec un autel central, composé de deux plates-formes superposées. Sur l’autel, il y avait trois dalles dressées. Mais c’est à partir du XIVe siècle que furent édifiés à Tahiti des marae côtiers, beaucoup plus vastes que leurs ancêtres. À l’intérieur de la cour, une série de constructions servaient à abriter les objets du culte. Le plus grand temple de Tahiti, le mahaiatea , fut élevé en 1766. Une femme l’avait fait construire en l’honneur de son fils. L’autel était constitué de blocs de basalte et de corail. Ce monument marque l’apogée de la société tahitienne.À Hawaii également, on trouve des vestiges de temples du même modèle que ceux de Tahiti, mais, plus tard, l’architecture hawaiienne construisit des temples aux formes nouvelles, les heiau , combinaisons de terrasses, de murs d’enceinte et de plates-formes; c’est dans le voisinage de ces temples que l’on enterrait les morts.Enfin, sur l’île de Pâques, dont l’écriture a commencé d’être déchiffrée, c’est vers l’an mille que furent bâtis les premiers temples ornés de statues monumentales. Ces têtes de pierre sculptées étaient hissées en haut de la plate-forme. Cependant, on ignore encore la signification exacte de ces immenses sculptures.Cet extraordinaire développement de l’architecture polynésienne, dont le caractère monumental est fort impressionnant, va de pair avec l’organisation politique de chefferies puissantes dotées d’un appareil administratif et militaire important. Avec l’arrivée des Européens, ces cultures traditionnelles se sont effondrées; aujourd’hui ne subsistent plus que des vestiges de l’organisation politique et sociale, ainsi que des relations particulières qu’entretiennent les groupes humains avec les terroirs.La recherche archéologique – de mieux en mieux armée – réussira sans doute à reconstituer l’histoire de la Polynésie et l’abondante mythologie polynésienne complétera ce témoignage. Les mythes polynésiens, notamment ceux de Hawaii et des Maori de Nouvelle-Zélande, sont extrêmement variés. Ils racontent la création du monde, l’origine des choses, des éléments, et l’apparition des premiers hommes. Ils expliquent enfin les légendes et les exploits des héros civilisateurs qui apportèrent aux Polynésiens les principaux éléments de leur culture. Sans même tenir compte de leur valeur littéraire, ces textes sont précieux, car ils permettent de reconstituer, pour chacune des sociétés particulières aussi bien que pour la Polynésie en général, les formes de pensée et les fondements de la croyance. De tels documents, lorsqu’ils auront été analysés, permettront d’éclairer l’étude de la pensée polynésienne.
Encyclopédie Universelle. 2012.